KONFERANS, LYANNAJ é MEETING èvè Lé REZISTAN - Jeudi 27 Juin 2024
Publié le 24/06/2024
Meeting Solidarité KANAKY mardi 11 juin 2024
Publié le 10/06/2024
Meeting lundi 06/02/2023 à 19h au Palais de la Mutualité
Publié le 5/02/2023
Meeting d’information jeudi 10 mars 2022 à 18h30
Publié le 6/03/2022
Meeting d’information mardi 8 mars2022 à 18h30
Publié le 6/03/2022
Les petits agriculteurs de la zone cannière n’ont pu se développer en paysannerie au sens classique du terme à cause de la prédominance de l’industrie cannière et de l’agro-exportation, non seulement sur l’agriculture mais aussi sur l’ensemble de l’économie. Ces contraintes ont en grande partie été levées par le déclin de l’agro-exportation traditionnelle et la départementalisation dans les années 1940-1950. Mais la petite agriculture n’a pu en profiter à cause de la rapidité du phénomène et de la persistance d’autres contraintes. Cette agriculture en « diversification » se retrouve donc en concurrence complète sur le marché intérieur avec ses homologues de France puis d’Europe, beaucoup plus compétitives. Mais les facteurs structurels ne sont pas seuls suffisants à expliquer la non-apparition d’un développement à base paysanne : il faut y ajouter la dynamique propre des groupes sociaux issus de la décomposition des plantations esclavagiste et capitaliste.
Réorganisation post-esclavagiste de l’économie sucrière
Petit-Bourg, une commune sucrière au milieu du XXe siècle
Les obstacles au développement d’une agriculture paysanne
Les évolutions favorables
Les séquelles du passé
Le cas des immigrés Indiens et de leurs descendants
La fameuse « désertion des habitations » d’après l’abolition
Profiter de la départementalisation pour s’investir dans l’agriculture ?
L’histoire de la société guadeloupéenne depuis les débuts de la colonisation a conféré aux agriculteurs familiaux guadeloupéens de l’après-guerre des caractéristiques que l’on doit mettre en évidence pour comprendre l’évolution du milieu rural de ces dernières décennies. Ceci est d’autant plus nécessaire que dans un contexte de crise de l’économie de plantation, beaucoup de questions concernant les voies et les moyens d’un autre développement agricole restent sans réponse.
La question : « quelle pourrait être la base sociale d’un développement agricole en Guadeloupe ? » se traduit en partie par une autre interrogation : « existe-t-il en Guadeloupe une paysannerie sur laquelle puisse reposer un développement agricole ? ». Deux types de facteurs poussent à privilégier l’agriculture paysanne dans le questionnement. Premièrement, la majeure partie des théories sur l’agriculture font état du rôle des paysanneries dans le développement. Rien d’étonnant à cela quand on sait que, dans la plupart des pays du monde, et en particulier en Europe où l’approche socio-économique de l’agriculture est peut-être la plus ancienne, la forme dominante de production agricole née à la faveur de la décomposition de l’économie seigneuriale fut l’économie paysanne. Deuxièmement, la plupart des théoriciens et praticiens du développement s’accordent à attribuer en grande partie l’échec des politiques de développement dans les pays du Tiers-Monde à la marginalisation de leurs paysanneries, ceci quelle que soit la voie de développement choisie.
Une des manières d’aborder la problématique du développement agricole d’une grande partie des pays de la Caraïbe insulaire peut donc être celle-ci :
La définition de l’agriculture ou économie paysanne adoptée s’inspire de celle de J. Tepicht : la forme dominante de production y est l’exploitation familiale ; le paysan a un accès direct aux moyens de production, la force de travail principale est la main-d’œuvre familiale ; il y a une gestion familiale du travail et de la consommation ; même s’il existe de l’autoconsommation, l’exploitation paysanne produit principalement pour le marché et en vue de la satisfaction des besoins de l’unité familiale. Évidemment, ce qui importe ici est en fait la logique sociale sous-tendant la définition, celle qui permet à un ensemble d’agriculteurs familiaux, ou de petits agriculteurs, de se constituer en paysannerie. Il s’agit alors d’un groupe social, ensemble ayant une cohérence interne, se reconnaissant distinct d’autres groupes, et possédant une culture, une structuration et des objectifs collectifs spécifiques [1].
L’hypothèse centrale est que « l’économie paysanne n’a jamais été la forme de production agricole dominante en Guadeloupe. Elle a été testée selon une démarche chronologique car :
Pour traiter le sujet, on a eu recours à la documentation sur l’histoire économique et sociale de la Guadeloupe et des autres territoires de l’Amérique des plantations et sur la constitution de leurs paysanneries. Mais l’histoire des Antilles françaises a été peu étudiée sous l’angle de la paysannerie et des petits producteurs en général ; il a ainsi fallu non seulement ré-interpréter les travaux de sciences sociales existants mais encore dépouiller des documents bruts, tels de nombreux registres des Hypothèques couvrant la période du milieu du XIXe siècle à 1935 environ [3]. Cette dernière démarche s’est particulièrement appliquée, alliée à des enquêtes de terrain, à la reconstitution de l’histoire agricole d’une commune de la zone sucrière, Petit-Bourg, qui a servi à enrichir l’analyse en la concrétisant. Cette zone, qui a pleinement fait partie de la zone sucrière jusqu’aux années 1950-1960, présente l’avantage de s’accoter au massif forestier, zone délaissée par l’agro-exportation qui aurait pu favoriser le développement d’une paysannerie [4].
L’abolition définitive de l’esclavage qui a lieu en 1848 dans les colonies françaises et un peu plus tôt dans les colonies anglaises, précipite la réalisation de deux types de transformations dans les sociétés caribéennes [5].
Au niveau des techniques de production, tout d’abord, on assiste à ce qu’il convient d’appeler une révolution industrielle. L’habitation-sucrerie esclavagiste était l’unité agro-industrielle de base dont le moulin broyait les cannes d’un domaine s’étendant rarement sur plus de 300hectares. Par concentrations successives d’habitations, on arrive à la grande usine du début du XXe siècle dont le domaine couvre en moyenne 2300hectares. Ces usines, d’une capacité de broyage jusqu’à quelques centaines de fois plus élevée, broient les cannes d’habitations encore indépendantes, de métayers et de petits planteurs indépendants, et, bien sûr, celles de leurs propres habitations. Cette concentration industrielle et foncière s’est accompagnée d’un recentrage sur les régions les plus rentables et de la marginalisation des anciens habitants esclavagistes guadeloupéens au profit de leurs homologues martiniquais et de sociétés capitalistes françaises. Mais elle a surtout abouti à la monopolisation des ressources productives, terre, capital et travail, du territoire par le capital sucrier [6].
La deuxième transformation est l’établissement de nouvelles formes de soumission de la force de travail. Il s’agit d’obliger les nouveaux libres à travailler dans les meilleures conditions de rentabilité pour le secteur sucrier, ce qui signifie souvent dans des conditions encore proches de celles de l’esclavage. Dans les 20 années suivant l’abolition, est mis en place un dispositif législatif et réglementaire des plus répressif : lois sur le vagabondage, attachement des travailleurs aux plantations par des contrats d’engagement draconiens, contrôle étroit des déplacements par l’établissement de livrets et de passeports intérieurs. Cela s’accompagne de l’établissement d’une politique fiscale tendant de manière explicite à limiter les activités urbaines et à privilégier l’agriculture d’exportation au détriment d’activités plus autonomes telles que l’agriculture vivrière et l’artisanat. L’échec de ces dispositions coercitives difficiles à gérer explique le succès de l’immigration et de statuts de travail plus souples.
L’immigration massive de travailleurs à partir de 1852, principalement en provenance de l’Inde, est équivalente à une augmentation instantanée de la population adulte des zones sucrières et plus généralement d’agro-exportation d’environ 25%, d’après les Statistiques coloniales. Il s’agit donc de la création d’un véritable volant de chômage qui participe grandement au retournement du rapport de forces en faveur des sucriers dès 1870 [7].
C’est aussi à cette période qu’on assiste au développement des statuts de colon partiaire et d’ouvrier casé. Le colon est un métayer qui doit planter la plus grande partie de sa tenure en cannes, le reste étant réservé à l’autoconsommation, vivres et élevage. Le propriétaire fournit généralement une partie des intrants, assure le labour et le transport de la récolte et prélève de 2/3 à 1/3 de la valeur de cette dernière. Pendant les six mois de récolte annuelle, le colon travaille en tant que journalier pour l’usinier ou le distillateur à qui il livre ses cannes, c’est à dire le plus souvent son propriétaire. Le colonat partiaire remplit ainsi trois fonctions : la mise en valeur de terres marginales à moindre frais, la fourniture d’un volume non négligeable de cannes jusqu’à 10% de l’approvisionnement total de certaines usines à cette époque et l’entretien d’une réserve de force de travail pour le secteur agro-exportateur. C’est cette dernière fonction qui justifie principalement le développement du deuxième statut, l’ouvrier casé étant un ouvrier, assez souvent permanent, à qui on attribue la jouissance d’une case et d’un jardin consacré à l’autoconsommation. Évidemment, casés ou colons, ces ouvriers constituent un noyau de travailleurs stables dans la société sucrière post-esclavagiste [8].
Le degré d’achèvement des deux mouvements que l’on vient de décrire ne fait que refléter la pérennisation au-delà de l’abolition de l’esclavage de deux caractéristiques fondamentales d’une économie de plantation. Premièrement il n’y a aucune limite, dans un territoire périphérique, à la spécialisation de l’appareil productif. Deuxièmement, dans une économie essentiellement exportatrice, le pouvoir d’achat des travailleurs n’influant pas sur les conditions de vente des produits exportés, la seule limite à l’exploitation de ceux-ci est qu’ils puissent reproduire leur force de travail grâce, notamment, à l’autoconsommation. En outre, persiste une autre caractéristique des sociétés de plantation : une stratification raciale découlant du mode de peuplement se surimpose à la stratification sociale en l’amplifiant et la figeant [9].
Cette nouvelle société est déjà établie pour l’essentiel au début du XXe siècle, les crises économiques et sociales observées ensuite se soldant en grande partie par un renforcement du système. La structure foncière d’une commune sucrière comme Petit-Bourg illustre la persistance de cet état de fait jusqu’au milieu du XXe siècle.
Petit-Bourg, une commune sucrière au milieu du XXe siècle
La figure I met en évidence une structure foncière très inégalitaire. Notons d’abord que le Domaine de l’État occupe près de la moitié de la superficie totale. Il est essentiellement constitué du cœur du massif montagneux dont le relief limite la valorisation en grande culture et d’une institution toute coloniale, les 50 pas géométriques, bande côtière gardée par l’État depuis le début de la colonisation.
Deux usines contrôlent 43% de la surface cultivée. L’usine Roujol, de faible taille à l’échelle de la Guadeloupe, occupe quand même 800hectares, c’est à dire la plupart des terres planes d’alluvions fertiles du sud de la commune. La SIAPAP, propriétaire de l’usine Darboussier sise à Pointe-à-Pitre, occupe l’essentiel de la plaine du nord de Petit-Bourg avec 1680des 8000hectares qu’elle possède en 1946 dans toute la colonie. Le manque de données sur la démographie et l’emploi empêche d’estimer leur impact socio-économique, mais l’étendue de leur domaine est déjà édifiante.
La fabrication de rhum a permis à certaines habitations de ne pas être morcelées ou absorbées par les usines. Les neuf distilleries de Petit-Bourg sont donc de taille moyenne, de 10-20à 250-300hectares. Les distillateurs proviennent en général de ce que l’on pourrait appeler la moyenne bourgeoisie blanche. Ils s’opposent souvent au groupe des usiniers, plus fort économiquement.
S’ils sont plus nombreux, les « moyens planteurs » sont moins puissants économiquement que les distillateurs. Le fait même que leurs propriétés se trouvent aux confins de la forêt et dans les zones les plus accidentées laisse à penser qu’ils seraient venus en troisième position dans l’allocation des ressources. Cette inégalité se retrouve au niveau de leur profession. En effet, alors que les distillateurs exercent de préférence des professions libérales (médecins, avocats, notaires, etc.) ou sont négociants importateurs, ceux-ci sont plutôt artisans, commerçants... et fonctionnaires pour les noirs. Dans ce contexte, il n’est évidemment pas étonnant que la plupart d’entre eux ne soient « que » mulâtres ou parfois descendants de travailleurs noirs.
La petite propriété est marginalisée, elle occupe à peine 7% des terres. Les lieux-dits de Carrère-Montebello au sud et La Lézarde au nord semblent être les deux zones où la petite propriété est ancienne, c’est à dire datant d’avant la Première guerre mondiale. Le conseil général, assemblée locale, a ensuite réalisé deux lotissements. En 1919, 50concessions forestières de deux hectares ont été accordées à Tabanon à des anciens combattants. En 1933, la soixantaine d’hectares de l’habitation Fougères a été divisée en 39lots de un à deux hectares. L’ensemble de la petite propriété n’occuperait ainsi qu’environ 400hectares, soit 7% des terres cultivées de la commune, et le plus souvent parmi les plus accidentées [10].
Cela signifie que la plupart des travailleurs ruraux voulant accéder à la terre sont obligés de satisfaire les conditions des propriétaires fonciers en étant leurs colons partiaires, ceci dans toute la zone sucrière. Cependant, cette répartition inégalitaire des terres, classique dans l’Amérique des plantations, ne doit pas occulter, par son côté spectaculaire, d’autres mécanismes tendant à limiter le développement d’une agriculture familiale.
Les obstacles au développement d’une agriculture paysanne
Dans le contexte exposé, le développement d’une paysannerie est forcément limité et de toute manière subordonné aux exigences du capital sucrier, pour ce qui est de la zone sucrière guadeloupéenne.
Premièrement, la production cannière ne permet pas à la cellule familiale de reproduire sa force de travail. Le revenu provenant des livraisons de canne à l’usine est trop faible non seulement pour accumuler mais encore pour subvenir aux besoins de la famille. En effet le prix de la canne payé au planteur est typiquement un prix résiduel : c’est le prix du sucre brut sur le marché français diminué des frais d’approche, des coûts industriels et du profit des usiniers. Il est trop dérisoire et fluctuant pour encourager le planteur à l’amélioration des techniques de production. Or la canne est la seule culture commerciale à laquelle peut se consacrer de manière significative le colon. Traditionnellement, il complète son revenu monétaire par une activité salariée saisonnière qui est aussi très mal rémunérée. Le colon est ainsi obligé de se consacrer en priorité à des activités économiques qui sont mal rémunérées et qui l’obligent à produire lui-même une partie de son alimentation [11].
Deuxièmement, les agriculteurs non-colons, bien que non institutionnellement soumis au secteur sucrier, y sont de fait étroitement liés, alors qu’a priori ils pourraient produire pour le marché intérieur. L’explication la plus classique de ce phénomène dans la littérature scientifique caribéenne est la monopolisation des ressources par l’agro-exportation, qui rend l’accès à la terre très problématique pour les producteurs de vivres et la production pour le marché intérieur très difficile. Mais cette hypothèse est apparue comme insatisfaisante pour les raisons suivantes. Le fait qu’il n’existe alors nulle part dans la Caraïbe de greniers vivriers semble indiquer que la production pour le marché intérieur n’est pas intéressante en soi, c’est à dire même quand on bénéficie des moyens de production adéquats. Le fait que les propriétaires fonciers moyens de Petit-Bourg qui n’ont pas assez de capitaux pour être usiniers ou distillateurs ne valorisent pas leur propriété par une production vivrière de masse corrobore cette hypothèse.
En fait, le marché intérieur est trop étroit, son développement est limité par le faible degré de division sociale du travail provenant de la spécialisation exportatrice de l’île :
Dans les cultures vivrières comme dans la canne, ces limites à la reproduction de la force de travail obligent généralement les familles à compléter leurs revenus par des activités non agricoles. Ainsi s’explique l’omniprésence de la pluriactivité dans l’agriculture guadeloupéenne. Il n’existe pas de paysannerie aisée dans la zone sucrière, les petits producteurs ruraux ne peuvent donc espérer accumuler sur la seule base de l’agriculture ; et l’agriculture ne peut en aucun cas constituer un moyen de promotion sociale, d’où une dévalorisation de ce métier. Cet ensemble de contraintes économiques et ses conséquences socioculturelles se reflètent aussi dans les luttes sociales durant le siècle suivant l’abolition. Ainsi, en 1889, la Société des travailleurs et petits planteurs du Lamentin, commune limitrophe de Petit-Bourg, a les objectifs suivants : l’organisation de l’entraide et du crédit pour produire la canne et les cultures d’exportation secondaires, l’organisation d’équipes de travail pour « la grande propriété », une caisse de secours mutuel et à terme la création d’une distillerie. Tel autre syndicat créé en 1891 insistera plus sur une coopérative de consommation. Les revendications sont donc essentiellement celles de salariés/fournisseurs de l’usine, du prix de la tonne de canne ou de la journée de travail à la prise de pouvoir à l’intérieur du système. Mais on ne trouve aucune trace de lutte des travailleurs ruraux pour une alternative, par exemple l’accès libre à la terre ou des mesures facilitant la production pour le marché intérieur. De la même manière, la pluriactivité doit expliquer que les planteurs de canne n’aient jamais vraiment un comportement et des solidarités qui les distingueraient des autres catégories sociales rurales. Le système fonctionne ainsi de telle manière qu’il n’est pas possible pour les agriculteurs familiaux de la zone sucrière de se constituer en paysannerie dans le sens défini en introduction [13].
Au milieu du XXe siècle, la petite agriculture de la zone sucrière se caractérise donc par un niveau de capitalisation très faible, une pluriactivité structurelle, des luttes sociales particulières, une autoconsommation élevée, une intégration verticale très forte à la filière canne-sucre-rhum. Ce sont ces agriculteurs qui affronteront les grands bouleversements de l’après-guerre.
L’institution de la Guadeloupe comme département français prend effet en 1946. On aurait pu s’attendre à ce que l’énorme bouleversement de la société et de l’économie guadeloupéennes qu’elle a engendré ainsi que la régression de l’industrie sucrière débutant en 1962, créent un espace et un climat favorable à l’éclosion d’une agriculture paysanne. Ces « éléments favorables » perdurent aujourd’hui. Néanmoins, la structure héritée de la période coloniale, l’irruption d’évolutions puissantes et brutales, le manque de préparation d’une politique économique d’accompagnement ont empêché cela.
Les évolutions favorables
Se repèrent d’une part un développement de la demande interne et d’autre part des distributions de terre aux travailleurs à la faveur de la régression de l’industrie sucrière.
On assiste à une diversification de l’économie, principalement par une véritable « explosion » du tertiaire et dans une moindre mesure par une croissance importante du secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP). En effet, de 1954 à 1961, le nombre total d’emplois dans le tertiaire et les BTP croît de près de 64% alors que la population totale et la population active employée ont augmenté respectivement de 24 et 7%. [14]. Le développement du tertiaire correspond principalement à l’implantation de branches des administrations, de succursales d’entreprises para-publiques et semi-publiques et d’entreprises privées métropolitaines. Les employés de ces sous-secteurs bénéficient donc d’un salaire au moins équivalent à celui de leurs homologues de l’Hexagone. Dans les autres secteurs, grâce à l’extension de la législation sociale métropolitaine, est créé un salaire minimum qui bien que de beaucoup inférieur à celui de la métropole est indexé au coût de la vie [15]. Le pouvoir d’achat de la population s’élève donc de manière significative. C’est ainsi que, pour l’ensemble Martinique-Guadeloupe, les salaires privés et les traitements publics auraient augmenté de respectivement 58 et 62% de 1949 à 1958 alors que dans le même temps les prix à la consommation services exclus n’auraient crû que de 40% ; la tendance se perpétuant pour les deux départements entre 1961 et 1963 [16]. La conjonction du développement d’une population non agricole et de l’augmentation des revenus se traduit par le développement d’une demande interne importante.
Parallèlement, pour la première fois de son histoire, après une période de croissance dans l’immédiat après-guerre, le secteur sucrier subit dès les années 1960 une crise qui se solde par une régression apparemment inexorable. En effet, l’intégration des secteurs sucriers coloniaux à l’économie sucrière métropolitaine impose désormais la déconnexion complète du prix du sucre des conditions de production du sucre de canne. Or les gains de productivité obtenus dans l’industrie betteravière au cours du XXe siècle l’ont rendue sensiblement plus performante que la production coloniale [17]. Sur le plan local, l’industrie sucrière cannière doit subir une hausse sans précédent par son ampleur et sa rapidité des coûts de production, principalement celui de la main d’œuvre. Avec l’élargissement du marché du travail, d’une part, les travailleurs ne sont plus « enfermés » dans l’univers sucrier et d’autre part, ceux qui y restent sont rendus plus exigeants par la coexistence de revenus sensiblement plus élevés dans les secteurs en développement. Les effets de cette combativité se trouvent amplifiés par un nouveau cadre juridique permettant l’extension des lois sociales françaises. Cela se traduit par la création des différentes assurances sociales au long des années 1940 et 1950 et par la création d’un salaire minimal pour les travailleurs ruraux, c’est à dire l’assurance d’un revenu minimum mais aussi l’indexation du revenu sur le coût de la vie. On assiste ainsi à une évolution « en ciseaux » des prix relatifs dans le secteur sucrier avec un poids des charges sociales passant de 10à 15% à la veille de la guerre à environ 30% à la fin des années 1960 [18].
En fait, disparaissent les deux piliers « historiques » de l’agro-exportation : premièrement, un système de contrôle social qui permettait une faible rémunération du travail et une grande « plasticité » du système en temps de crise et deuxièmement, le protectionnisme de l’État français. L’industrie sucrière guadeloupéenne ne peut surmonter cette crise qu’en se transformant complètement.
La stratégie des différents groupes usiniers s’articule autour de deux axes : le désinvestissement et la restructuration. La distribution de terre aux travailleurs agricoles, par le biais d’une réforme foncière ou de la mise en colonat, procède des deux mouvements puisqu’elle permet aux sociétés sucrières de réaliser une partie de leurs actifs soit pour désinvestir soit pour mieux moderniser l’appareil industriel et mettre en valeur le reste du faire-valoir direct. Plus de 17500 hectares sont ainsi vendus et 977 hectares de faire-valoir direct mis en colonage entre 1955 et 1970. Ainsi, alors que les habitations des usines assuraient 62,4% de leur approvisionnement en cannes en 1952, elles n’en représentent plus que 39,3% en 1967 [19].
Un ordre des choses beaucoup plus favorable au développement d’une paysannerie semble donc exister : accès à la terre facilité, développement spectaculaire de la demande intérieure, diversification de l’économie et émigration permettant un exode rural, condition jugée par beaucoup nécessaire à la modernisation de l’agriculture. Or on assiste au contraire à une véritable crise.
Les séquelles du passé
L’agriculture familiale ne peut bénéficier pleinement du développement du marché interne (Figure III). Premièrement, le développement de la demande intérieure est si brutal qu’il faudrait que le système productif puisse y répondre presque immédiatement. Or ce n’est que plus d’une dizaine d’années plus tard que commencent les distributions de terres. Deuxièmement, l’agriculteur a l’habitude de consacrer la plupart de ses efforts à la canne dans un cadre relativement rigide mais stable et fonctionnel où il n’a pas à intervenir dans le choix des actes techniques, l’approvisionnement en intrants, l’organisation de la récolte et surtout le choix des circuits de commercialisation et la recherche de débouchés. Maintenant il est libre de sortir de ce système pour investir dans la production vivrière. Mais le passage du stade de l’autoconsommation avec commercialisation des surplus à celui de la production pour le marché nécessite plus qu’une extension. C’est un saut qualitatif non négligeable : changement de logique de production, changements techniques, satisfaction du marché en termes de qualité et de quantité, etc. De ce point de vue c’est l’ensemble d’un complexe agro-alimentaire jusqu’alors destiné exclusivement à l’agriculture de plantation qui doit muter pour fournir notamment aux producteurs les techniques, le crédit, les intrants et les circuits commerciaux qui pourraient leur permettre de suivre le développement de la demande. Troisièmement, la tendance structurelle à consommer les aliments importés est renforcée par le comportement des nouvelles classes moyennes pour lesquelles l’alimentation traditionnelle est synonyme de pauvreté et d’arriération. Quatrièmement, le développement du marché intérieur est inégal : si l’ensemble des revenus augmente sensiblement, beaucoup de travailleurs continuent à avoir des revenus relativement faibles. En 1972, 23% des salariés gagnent moins que le SMIC local et en 1980 encore, 78% des salariés gagnent moins que le minimum vital officiel. Ces consommateurs moins aisés continuent à cultiver un jardin et achètent de préférence les produits importés les moins chers [20]. Cinquièmement, le contexte commercial est défavorable au développement d’une production pour le marché intérieur. La distribution est en effet liée à l’import-export traditionnellement bien développé et s’organise pour répondre à la demande dans toute sa variété par le biais de grandes surfaces comme d’épiceries de quartier faisant crédit. Évidemment le secteur commercial contribue amplement à renforcer un modèle de consommation alimentaire impossible à satisfaire sur la base des productions locales.
Ainsi, le problème de la production pour le marché intérieur se pose très vite en termes de substitution aux importations ; et en l’occurrence « importation » signifie mise en concurrence de cette agriculture familiale structurellement sous-développée avec des agricultures paysannes européennes ayant derrière elles toute une histoire d’accumulation et beaucoup plus compétitives. On peut ainsi mettre en évidence une augmentation spectaculaire et continue des importations par habitant de produits laitiers et de viandes et abats de la fin des années 1940 à 1969, produits quasiment non importés avant-guerre. De 1938-1939 à 1963-1964, les importations totales de conserves de légumes, de farine de froment et de légumes secs ont été multipliées respectivement par 5, 2 et 2 alors que la population a crû au plus de 70%. Les importations de légumes frais ont commencé dans les années 1950 [21].
À court terme, la régression de l’industrie sucrière a aussi des conséquences négatives. D’une part, le transfert de la production cannière aux travailleurs correspond à un transfert d’une situation de crise face à laquelle le planteur de cannes est désarmé. D’autre part, la mécanisation et la diminution du faire-valoir direct des sociétés sucrières se traduisent par une baisse sensible de l’emploi salarié dans le secteur sucrier, et donc pour les agriculteurs, une chute de revenus traditionnels qui auraient pu les aider à s’organiser pour produire pour le marché local. En outre, la création d’emplois non agricoles et les possibilités d’émigration massive se traduisent par une forte diminution de la main d’œuvre familiale, ce qui rend le petit agriculteur plus dépendant de la main d’œuvre salariée dont le coût augmente.
Quant à la politique agricole, à cette période les pouvoirs publics sont généralement peu préoccupés par le développement de l’agriculture familiale. Ils visent avant tout des objectifs macro-économiques pour la France : dans ce cadre l’agriculture doit à partir de la fin des années 1950 (Troisième plan) servir à équilibrer la balance du commerce extérieur. Ainsi, les efforts les plus significatifs réalisés par l’État français dans le cadre de mesures de politique agricole spécifiques aux DOM ont porté sur la banane, l’élevage et le secteur sucrier. Il y a une succession de mesures toutes « prioritaires » répondant à des objectifs soit clairement productivistes, soit de maintien de la paix sociale ou d’entretien de clientèles politiques ou sociales locales. En outre, la crise que traverse alors le secteur sucrier est trop profonde pour que des mesures de simple assistance réussissent, ceci d’autant plus que l’on continue à raisonner les mesures de développement comme si elles s’appliquaient aux grands domaines.
Ainsi à la fin des années 1970, l’agriculture a le visage suivant à Petit-Bourg. Une grande partie du foncier de l’Usine de Roujol a été lotie dans le cadre de la loi de Réforme foncière de 1961, après la fermeture de l’usine survenue en 1962. Les bénéficiaires n’ont pour beaucoup jamais vraiment investi l’agriculture, ils sont aussi journaliers agricoles, ou travaillent dans le bâtiment ou sont bouchers, épiciers ou employés. Cette pluriactivité persistante a été interprétée par certains comme la cause des difficultés de l’agriculture familiale, et par d’autres comme une conséquence ; elle en est au moins un signe. La quasi-totalité des bénéficiaires a aussi très rapidement vendu une partie de son lot à des fins immobilières, pour pouvoir continuer à payer le reste du foncier. À la fin des années 1970, plus d’un tiers de l’ensemble est en friche. Des bâtiments, clôtures et traces de prairies artificielles témoignent des essais successifs de développement de l’élevage. La canne a disparu sauf chez les fournisseurs d’une distillerie proche ; le système de production le plus courant associe l’igname, la banane plantain, l’ananas et l’élevage bovin.
Au nord et à l’est, l’Usine Darboussier possède encore la plupart des terres agricoles, mais le faire-valoir direct y a sensiblement diminué depuis les années 1950 au profit du métayage. Les colons partiaires, en général âgés et ayant vécu toute leur vie dans l’univers de l’usine sont les agriculteurs les plus caractéristiques de l’ancien ordre des choses. Ils sont théoriquement obligés de cultiver de la canne, et quand ils n’en font plus ils laissent les terres en friche ou au mieux à un élevage extensif. Très peu d’entre eux ne vivent que de leur lot.
L’histoire commune des colons et leur dépendance par rapport à l’usine les rendent tous plus ou moins proches de l’Union des travailleurs agricoles et Union des paysans pauvres de la Guadeloupe (UTA-UPG). Ce syndicat, créé en 1971, reconnaît jusque dans sa double appellation la double dépendance des travailleurs ruraux par rapport à l’usine ; il s’est d’ailleurs créé et développé dans la lutte contre les « capitalistes usiniers ». Les agriculteurs propriétaires du sud de la commune sont en revanche beaucoup moins organisés, les expériences d’organisation économique ayant échoué et les syndicats d’agriculteurs ayant du mal à les mobiliser.
Dire que les limites du système socio-économique étaient suffisantes pour empêcher la constitution d’une agriculture paysanne c’est dire que si les travailleurs ruraux l’avaient voulu ils en auraient été empêchés. Ceci amène deux remarques.
La première est que l’on ferait montre d’un déterminisme réducteur en posant comme données les voies possibles d’évolution d’une société, c’est à dire en concevant l’univers des possibles comme fini. Nous préférons suivre Paul Veyne lorsqu’il écrit que l’explication historique se construit selon les trois lignes du hasard, de la cause matérielle et de la liberté ou Raymond Aron dès lors qu’il précise qu’il faut « restituer au passé l’incertitude de l’avenir ». L’on peut ainsi admettre que des individus assez déterminés auraient pu créer l’espace nécessaire, en s’opposant au système ou en le subvertissant. Car par ailleurs, ces systèmes successifs que l’on peut qualifier de totalitaires se reproduisent grâce à un ensemble d’institutions et de relations très complexes et de signification souvent a priori ambiguë pour l’analyste. Par exemple, une institution comme le samedi des nègres, c’est-à-dire l’attribution à l’esclave d’un lopin de terre et d’une demi-journée pour y produire son alimentation, permet au planteur de continuer à se consacrer directement principalement à l’agro-exportation, d’acheter moins d’aliments, de donner une impression de liberté aux esclaves en étant ainsi un facteur de stabilisation sociale. C’est cependant un espace d’autonomie et de création inestimable pour l’esclave, d’autant plus qu’il se prolonge parfois par de petits marchés ruraux. Ces institutions au statut ambigu pourraient donc être des points faibles du système utilisés par les dominés pour le détruire [22].
La seconde remarque s’impose. Si l’on veut répondre à la question du départ, connaître les causes du non-développement d’une agriculture paysanne, il faut maintenant se poser une deuxième question : « y a-t-il jamais eu un groupe social désireux de se constituer en paysannerie ? ». Un angle de vue complémentaire de celui adopté jusqu’à maintenant permet d’apporter des éléments de réponse significatifs à ces questions.
Le devenir des Indo-Guadeloupéens, descendants des immigrés de la deuxième moitié du XIXe siècle, suscite quelques interrogations. On retrouve à Petit-Bourg la trace d’Indiens ayant acheté, collectivement il est vrai, une propriété dans les années 1870 alors que l’immigration n’a commencé qu’en 1854. Dans la même commune de l’après-guerre, les Indo-Guadeloupéens sont les seuls propriétaires de taille moyenne ne vivant que de l’agriculture ; et ils sont en proportion plus grande que dans la population totale de la commune. Nous avons reconstitué l’histoire de l’un d’entre eux : son grand-père, né en Inde, achète en 1876 4,24hectares à un propriétaire de Petit-Bourg. Quatre ans après, il rachète 2hectares à un autre Indien qui les avait acquis du même propriétaire en même temps que lui. Cela continue avec l’achat d’un terrain au bourg de la commune en 1882 il sait alors parler le français mais signe toujours en tamoul, de 2,38hectares en 1884, et de 11,64hectares, avec un autre Indien, en 1887. Son père, né en 1879 en Guadeloupe, achète et vend plusieurs petits terrains. Il vit de la mise en valeur d’une partie de la propriété familiale et du travail pour l’Usine Roujol. Il achète en 1932 plus de 14hectares à un habitant-propriétaire indien de Petit-Bourg, celui-là même qui avait acheté une propriété avec le grand-père en 1887. Il met une partie de ces 14hectares en métayage et cultive le reste avec ses fils. Il a d’autre part trois charrettes attelées et une charrue qui lui permettent de fournir des prestations à l’Usine. Il vend sur le tard 4hectares de la propriété, des terres presque toujours noyées. À la mort du père, la propriété est partagée entre ses huit enfants. Tous les fils sont agriculteurs, mais quatre seulement à temps plein, les autres étant aussi boucher, boulanger, etc. Au début des années 1980, l’exploitant agricole enquêté a une soixantaine d’années, 1,3hectare en propriété et pas de véhicule [23].
Guy Lasserre parle aussi pour le début des années 1950 des Indiens agriculteurs moyens des plateaux du sud-est de la Grande-Terre sans malheureusement évoquer de poids relatif. Il est étonnant que des Indo-Guadeloupéens aient acquis relativement vite des propriétés foncières aussi grandes alors qu’ils peuvent être considérés comme les derniers servis dans l’allocation des ressources dans la période post-esclavagiste. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour expliquer ces trajectoires différentes de celles des descendants d’esclaves. Les Indiens sont arrivés libres contrairement aux Africains et cela conditionne fortement leur mode d’insertion dans leur nouveau milieu. De la même manière, ils avaient aussi le droit de rester ensemble et donc de préserver leur culture et une certaine cohésion sociale, ce qui a certainement permis des stratégies collectives, en particulier familiales, souvent les plus efficaces dans des conditions de fortes contraintes. Ils ont d’ailleurs gardé très longtemps des structures familiales plus élargies que celles des Afro-Guadeloupéens. En tant qu’immigrants ils étaient venus gagner le plus d’argent possible le plus rapidement possible. Il n’est évidemment pas à exclure que certains soient arrivés avec un pécule. Ils sont les derniers dans le peuplement et pendant près d’un siècle, alors que les descendants d’esclaves plus instruits peuvent prétendre devenir employés ou enseignants, l’avenir des Indiens se cantonne à l’agro-industrie sucrière et il ne peut y avoir de promotion sociale pour eux qu’à l’intérieur de ce secteur auquel ils sont obligés de consacrer tous leurs efforts. Certains auteurs évoquent le fait que, contrairement au catholicisme, l’hindouisme et l’islam valorisent la richesse, signe de la bénédiction divine. En outre, les Indiens ont de toute évidence eu droit à des traitements de faveur dans une stratégie de division des travailleurs par le patronat, ceci étant compatible avec leur propre stratégie d’intégration. Leur sur-représentation parmi le personnel d’encadrement des sociétés sucrières dans les années 1970 en Guadeloupe est frappante [24].
Ces faits laissent à penser que les zones de liberté du système pouvaient être investies ne serait-ce que de manière partielle et minoritaire quand cela correspondait à des aspirations sociales. D’après ce qui suit, il semble que des aspirations sociales visant le développement d’une paysannerie au sens classique du terme aient fait défaut tout au long de l’histoire de la zone sucrière de la Guadeloupe.
La fameuse « désertion des habitations » d’après l’abolition
Contrairement à ce qu’ont pu écrire certains chroniqueurs ou historiens, beaucoup de travaux ont démontré que l’on ne saurait parler de « désertion massive » des habitations à l’abolition de l’esclavage [25].
La description de Marshall du comportement des apprentis, en Jamaïque entre 1837 et 1844, est éclairante pour toute la région : ils ont une notion claire du rôle de la loi et une exigence d’égalité devant la loi ; ils se battent pour avoir le plein contrôle de la gestion de leur temps libre et pour que les enfants de moins de six ans ne soient pas obligés de travailler ; ils veulent être libres du choix et de la pratique d’une religion ; certains d’entre eux tiennent absolument à racheter eux-mêmes leur liberté au lieu d’attendre l’abolition générale. Leurs espoirs et attentes concernant l’abolition définitive sont les suivants : liberté de mouvement, consolidation de la famille, salaires « justes » et « équitables », relations de travail non contraignantes, accès aisé aux jardins.
D’une manière générale, on assiste avec l’abolition à des déplacements autour des habitations d’origine, par désir de saisir physiquement la liberté toute neuve, de prendre connaissance de l’espace environnant, de visiter parents et amis, de consolider la famille en reconnaissant les enfants et parfois en se mariant. Certains nouveaux libres choisissent de partir vivre en ville. D’autres quittent leur habitation d’origine pour s’établir agriculteurs sur des terres marginales ou sur des habitations abandonnées ; les statuts sont alors divers : propriété, location ou occupation sans titre. Cependant beaucoup de nouveaux libres restent dans leur habitation. Leurs revendications portent alors essentiellement sur deux points : garder la jouissance de la case et du jardin d’esclaves et avoir de bonnes conditions de travail. En effet, la plupart des maîtres s’étaient déchargés d’une grande partie du coût de l’entretien des esclaves en les obligeant à consacrer une demi-journée par semaine à produire eux-mêmes leur alimentation sur un lopin qui leur était octroyé ; cette institution du samedi des nègres était non seulement nécessaire à leur survie mais aussi un des rares lieux de liberté, d’autant plus que la culture se prolongeait souvent par des marchés ruraux. Si certains esclaves sont devenus propriétaires pendant les derniers temps de l’esclavage grâce à la loi Mackau (1845), la plupart pensaient qu’ils le deviendraient au moment de leur accession à la liberté et continuent à se battre pour garder la jouissance de ces biens qu’ils considèrent comme leurs. Cleach rapporte le cas de cultivateurs d’une habitation de Petit-Canal, commune sucrière de la Guadeloupe, qui veulent garder les cases « que leurs pères ont construites » ; l’administration tranche en juillet 1848 en faveur des planteurs qui doivent quand même dédommager les anciens esclaves si les matériaux ont été payés par eux. Schœlcher écrit que le gouverneur de la Jamaïque a été obligé de faire deux proclamations en 1838 pour signifier aux nouveaux affranchis que les cases et les jardins ne leur reviennent pas de droit comme ils le croient. Le jardin représente la subsistance mais aussi le moyen de survivre pendant les périodes de négociation avec les patrons. On peut comprendre que les raisons de partir de l’habitation soient faibles en regard de cet atout [26].
Les nouveaux libres réclament de meilleures conditions de travail, préfèrent un salaire à un paiement en nature, le travail à la tâche plutôt qu’à la journée. Ils s’approprient totalement leur temps de travail. Ainsi l’absentéisme est important, d’autant plus que les travailleurs se consacrent à d’autres activités non salariées : culture de leur jardin, pêche, fabrication de charbon de bois, artisanat. En outre, les planteurs ont en général du mal à leur faire respecter un horaire. Beaucoup d’entre eux refusent de travailler sur l’habitation où ils vivent : d’une part ils veulent pouvoir choisir leur employeur et d’autre part ils préfèrent dissocier le lieu de résidence du lieu de travail, être locataire d’un côté et salarié de l’autre plutôt que travailleur casé. Évidemment, cela se traduit plus pour les patrons par un travail insuffisant, irrégulier et difficilement contrôlable que par une absence de travailleurs [27].
Pour Schnakenbourg, ce n’est en Guadeloupe qu’après août 1848 à la suite de l’établissement d’une politique éminemment répressive tendant à obliger par tous les moyens ces nouveaux libres à travailler pour le secteur de plantation et à ses conditions, y compris par des expulsions des habitations de résidence que l’on assiste à un mouvement de colonisation des terres non cultivées, en particulier les montagnes. Il avance quatre éléments de preuve : la relative brièveté de la dépression ; le silence des planteurs et des autorités coloniales à ce sujet ; les statistiques démographiques qui mettent en évidence un déplacement de seulement 8à 10% de la population du secteur de plantation vers celui des cultures vivrières entre 1848 et 1851 ; le faible nombre d’acquisitions de terrains entre 1848 et 1850 [28].
L’importance des besoins monétaires des nouveaux libres explique aussi la non-volonté de rupture matérielle avec l’habitation. Même si l’on peut penser qu’Éric Williams manque un peu de nuance lorsqu’il écrit que « les îles françaises ne furent pas ruinées en 1848 et l’émancipation ne rendit pas les Nègres paresseux. [...] Le total des exportations déclina à la Guadeloupe ; mais celui des importations s’accrut, donnant ainsi la preuve que les Nègres consommaient tout autant. Les importations de 1849 montrent une augmentation sensible dans le domaine des vins, du tabac, de la farine, du fromage, de la viande salée, du savon et des huiles, des textiles, des parapluies, des montres, des chapeaux et chaussures. L’ancien esclave buvait, fumait, se nourrissait mieux, se lavait davantage, s’habillait mieux, imitant son ancien maître qui n’allait jamais sans parapluie, ou nu-tête et pieds nus » [29]. Cette situation existe dans toute la Caraïbe, même dans les pays où il y a alors plus d’espaces de liberté : « The idea of self-sufficiency had never, since the coming of the Europeans, been strong in the Caribbean, and the newly freed Jamaicans brought with them out of slavery a taste for imported tools, agricultural implements, and building materials. Freedom [...] increased their connections with the merchants and retailers » [30].
Alors comment a-t-on pu parler de « désertion des habitations », de « fuite des anciens esclaves » ? En fait, il semble que les blancs créoles aient dressé ce tableau catastrophique pour maintenir une pression sur le gouvernement français par le biais du gouverneur de la colonie et justifier une politique plus coercitive et l’immigration. En outre, un certain blocage idéologique a certainement joué, ces anciens maîtres ayant du mal à accepter la nouvelle situation. Gâtine, commissaire général de la Guadeloupe envoyé par le gouvernement français, a été sensible à cette propagande dans un premier temps, pour s’en affranchir ensuite. Cette affirmation a cependant été reprise par différents historiens et intellectuels paradoxalement d’orientation différente, l’interprétation commune étant celle de la répulsion de l’habitation, symbole du régime de l’esclavage. Les tenants d’une conception dualiste de l’histoire caribéenne l’ont reprise sans ré-interroger les sources, séduits par l’idée de la fuite hors du système dominant, la recherche de l’indépendance dans les mornes, etc. [31].
En résumé, du point de vue économique, il y a plus de la part des nouveaux libres une grande exigence de redéfinition de leur mode d’insertion dans la nouvelle société que des tentatives de création d’une agriculture autonome par rapport au système sucrier [32].
Profiter de la départementalisation pour s’investir dans l’agriculture ?
Lors de la départementalisation, les travailleurs ruraux de la zone sucrière sont complètement intégrés dans l’économie de plantation. Rien ne prouve qu’ils aient dans leur majorité, comme d’ailleurs plus largement l’ensemble des bénéficiaires des réformes foncières successives, vraiment eu envie de se consacrer principalement à l’agriculture.
Plus de 80% des agriculteurs de plus de 50ans enquêtés en 1983-1984 à Petit-Bourg étaient originellement ouvriers agricoles ou contremaîtres. Ils ne sont en général devenus agriculteurs à titre principal que quand il n’y a plus eu d’alternative. Et de ce point de vue si un premier point de rupture a été la distribution de terres dans les années 1960 et surtout 1970 avec le lotissement de Roujol, leur manière de vivre a vraiment changé dix ans après, lors de la fermeture de Darboussier ou d’entreprises du BTP. En fait, pour la plupart de ces travailleurs ruraux d’après la départementalisation, le désir d’accession à la propriété semble avoir été plutôt un désir de sécurité, d’assurance : on est sûr de pouvoir se nourrir en partie, bâtir sa maison, vendre de la terre en cas de besoin. Les bénéficiaires de la première réforme foncière disent avoir été obligés de continuer à travailler « dehors » parce qu’ils n’arrivaient pas à vivre de leur terre, ceci parce que la canne n’était plus rentable, mais ils ne rapportent aucune tentative de faire autre chose que la canne ou de se battre pour cela.
Deux causes peuvent être avancées. Le coût social très élevé d’un tel changement en termes culturels, organisationnels et techniques, a déjà été évoqué. Par ailleurs, les systèmes de production combinant la canne à sucre et le jardin créole et l’élevage au piquet continuent à présenter à cette période des avantages considérables en termes de gestion du travail et des risques et d’approvisionnement alimentaire. Ces systèmes s’accommodent tout à fait de la pluriactivité, ceci étant d’ailleurs encore le cas au début des années 1980 ; l’importance relative de la canne, du jardin et du travail extérieur dépend de la stratégie et des contraintes de l’agriculteur, en particulier du facteur de production limitant, main d’œuvre ou foncier. Comme le dit Guy Rocheteau, « pourquoi alors renoncer aux avantages évidents de la pluriactivité et à une "stratégie de la prudence" pour tenter l’aventure incertaine et risquée de la paysannerie ? », ceci dans un contexte chaotique de disparition de l’univers de la plantation. En témoignent ces réflexions de travailleurs ruraux : « Je plantais de la canne partout où c’était possible. Les cultures vivrières, c’est votre jardin d’ouvrier qui vous procure votre alimentation de base. Le prêt de campagne servait à acheter la graisse pour accompagner la chair et à entretenir la canne ». « Faire autre chose que de la canne ? Aujourd’hui, on peut faire un coup de tomates, demain un coup de patates... mais on n’est jamais sûr de pouvoir tout vendre. Les bœufs ? Vous n’êtes pas le seul à en avoir, les bouchers ne passent plus vous demander ce que vous vendez ». « [La canne,] c’est la seule denrée pour laquelle on a une sécurité, on peut emprunter dessus... » [33].
En outre, la diversification de l’économie se traduit par un changement radical de la cellule familiale ; d’une part une diminution sensible de la main d’œuvre familiale, d’autre part une concrétisation du désir des parents de voir leurs enfants accéder à un statut social et financier meilleur que le leur. L’accès à la propriété foncière est donc souvent vécu comme une simple étape dans l’ascension sociale.
Les luttes sociales et politiques reflètent cet état d’esprit. Jusqu’en 1946, l’accès à la terre n’a été généralement revendiqué qu’en cas d’expulsion de colons partiaires par les usiniers ; ainsi en 1918, des défenseurs des colons s’expriment en ces termes : « En pleine guerre, alors que tout devrait être mis en œuvre pour encourager les cultivateurs à renforcer la production de canne à sucre, les sociétés foncières maîtresses de la quasi-totalité du sol arable de la colonie poursuivent la proscription des colons partiaires et des fermiers des champs où jusqu’ici ceux-ci gagnaient leur existence... » [34].
Quel que soit le mode d’organisation des travailleurs, les nombreuses grèves rurales ont toujours eu pour enjeu principal les salaires des ouvriers agricoles et industriels et le prix de la tonne de canne. Après la Deuxième guerre mondiale, s’y ajoute l’objectif de la conquête des lois sociales appliquées en France métropolitaine. Les élus politiques locaux et les décideurs économiques, y compris les représentants des agriculteurs, ont en général eu eux aussi une vision très idéologique du développement de l’agriculture ; en parlant sur le mode incantatoire d’une supposée « vocation agricole » de la Guadeloupe et du caractère central de l’industrie sucrière dans le développement du territoire, ils se sont interdit d’envisager sereinement et « librement » la diversification de l’économie. Ils ont en outre fait montre de peu de confiance dans l’exploitation familiale, attribuant souvent la crise de l’industrie sucrière au morcellement des grands domaines et cherchant sans relâche le moyen d’« obliger » les agriculteurs à produire de la canne [35]Le désinvestissement des opérateurs privés de l’industrie sucrière s’est accompagné d’une participation croissante des collectivités locales et des agriculteurs tout à fait dans la lignée de la socialisation de l’usine de Marquisat réclamée par les grévistes en 1945. À partir des années 1960, la plupart des usines fumantes et/ou leur domaine appartiennent ainsi à des sociétés d’économie mixte. Un président du conseil général, pourtant non communiste, déclare ainsi au début des années 1980 : « L’achat par le conseil général du domaine foncier de Beauport et des actifs fonciers et industriels de Grosse-Montagne participe à la réappropriation par le peuple guadeloupéen du capital productif ». En fait il se sera agi pour les syndicats et les collectivités locales d’investir l’agro-industrie sucrière pour en prendre le contrôle plutôt que de bâtir une agriculture d’après plantation.
Évidemment seule une étude spécifique et mettant en œuvre des compétences en sociologie, histoire et économie permettrait de qualifier complètement les stratégies et les aspirations des travailleurs ruraux de la zone sucrière à différents moments de leur histoire. Cependant les éléments exposés laissent à penser que ces derniers n’ont jamais vraiment voulu devenir paysans au sens classique du terme.
* * *
L’économie paysanne n’a donc jamais été la forme de production agricole dominante en Guadeloupe au moins jusqu’aux années 1970. Nous avons montré que ce n’est pas en termes de répulsion, d’incapacité ou de résistance à exercer le métier d’agriculteur qu’il faut considérer les difficultés que rencontre cette société pour accoucher d’une agriculture paysanne « classique ». Des mécanismes économiques puissants, dont certains persistent encore, expliquent en grande partie cet état de fait. D’une part, la réorganisation de l’économie après l’abolition de l’esclavage et la révolution industrielle du milieu du XIXe siècle a gardé à l’agriculture familiale un rôle mineur en conservant la monopolisation des ressources par l’agro-exportation et la limitation de la taille du marché interne. D’autre part, l’appareil productif n’a pu profiter pleinement de la décomposition de l’économie de plantation qui est intervenue dans les années 1950-1960, à la suite de la départementalisation. En outre, il semble que les travailleurs ruraux aient en général été plus soucieux d’investir le système que de le subvertir.
Il est aussi important de noter que les transformations et les renouveaux agricoles ne dépendent pas des seuls mécanismes économiques et culturels : ils impliquent une mobilisation, un mouvement social au sein de la paysannerie en changement mais aussi un soutien en dehors de la paysannerie elle-même, une adhésion à ces objectifs, des relais, une sorte de conversion à une idéologie partagée par plusieurs couches sociales et la mise en œuvre de mesures réellement adaptées à la situation. Paradoxalement ce partage d’un même système de valeurs a existé jusqu’à maintenant, mais autour de la défense de l’industrie sucrière, lui affectant ainsi une importance idéologique sans commune mesure avec son poids économique réel, et non d’un projet d’une agriculture familiale diversifiée et équilibrée. En fait l’on se trouve confronté au problème du manque d’intégration de l’ensemble de la formation économique et sociale de la Guadeloupe et à l’absence de projet de développement global. On peut encore déplorer l’absence d’un système d’encadrement technique et financier adapté. Il faudrait d’ailleurs comparer cette situation avec celles des pays indépendants voisins de la Caraïbe pour mesurer le poids de la dépendance culturelle et institutionnelle par rapport à la métropole.
Du point de vue conceptuel, les conclusions de la recherche ne sont que l’illustration des difficultés rencontrées par la plupart des chercheurs qui ont voulu étudier l’agriculture familiale des pays de la Caraïbe en termes de paysannerie. Certains n’en voient qu’à Haïti, d’autres préfèrent parler de paysanneries caribéennes caractéristiques [36]. La notion d’agriculture paysanne est peut-être simplement inopérante pour des agricultures issues de l’esclavage au XIXe siècle. Il ne s’agit pas d’alimenter une éventuelle querelle sémantique. Mais pour identifier les couches sociales sur lesquelles asseoir le développement agricole et qui en sont partie prenante il faut connaître les caractéristiques de la population agricole en termes de savoir-faire, de niveau d’accumulation, de comportement par rapport au marché, de conception de l’activité agricole, de représentation en tant que groupe, de comportement social.
Épilogue.
La situation a sensiblement changé au début des années 1980, avec ce que l’on pourrait appeler un retour à la terre. Ce phénomène est à attribuer à :
Marie-Françoise Zébus
[1] J. TEPICHT, Marxisme et agriculture : le paysan polonais, Paris, Librairie Armand Colin, 1973
[2] En 1946, l’Assemblée Nationale française a voté l’accession des colonies de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane et de la Réunion au statut de Départements Outre-mer.
[3] L’Amérique des Plantations est la zone s’étendant du Nordeste du Brésil au Sud des États-Unis d’Amérique pour laquelle la pénétration coloniale a pris la forme de l’économie de plantation. La définition adoptée de l’économie de plantation est inspirée de celle de Christian Schnakenbourg : Christian SCHNAKENBOURG, « Contribution à une réflexion théorique sur l’histoire de l’économie de plantation aux Antilles », dans Cahiers analyse-épistémologie-histoire, n° 14-15, 1978, pp. 167-188. Il s’agit d’une économie périphérique à moteur externe ayant en tant que telle quatre caractéristiques principales : l’intégration au marché mondial, l’extraversion, la dépendance financière, commerciale et technologique et l’inarticulation. Le secteur des plantations sera défini comme l’ensemble des grands domaines qui sont de fait essentiellement agro-exportateurs et des services connexes. Le secteur agro-exportateur sera constitué par le secteur des plantations et l’activité agro-exportatrice des petits agriculteurs, il s’oppose au secteur domestique. Voir : Lloyd BEST, « Un modèle d’économie pure de plantation », dans Les Cahiers du CERAG, n° 24, 1971, pp. 1-76, traduction de Lloyd BEST, « Outlines of a Model of Pure Plantation Economy », dans Social and Economic Studies, septembre 1968 ; George BECKFORD, Persistent Poverty. Underdevelopment in Plantation Economies of the Third World, Londres/Morant Bay, Zed Book Ltd/Maroon Publishing House, 1983, 1972 ; Jean CRUSOL, « La Martinique, économie de plantation : survol historique », dans Les Cahiers du CERAG, n° 28 , n.d., pp. 1-31. Les statistiques économiques et sociales ont toujours été relativement faibles par rapport à la Caraïbe anglophone. En particulier nous ne disposons pas de l’équivalent des rapports des grandes enquêtes réalisées dans les années 1940 dans la Caraïbe anglophone : West Indian Royal Commission Report, Moyne Report, HMSO, Londres, Cmd. 6608, 1945 ; F. W. DALLEY, Trade Union Organization and Industrial Relations in Trinidad, Dalley Report, HMSO, 1947. Depuis le début du XIXe siècle, sont enregistrés les Registres des hypothèques des actes de vente des propriétés immobilières. Ils seront notés Reg. hypo. [n° du volume] ([n° de l’article])
[4] Il faudrait poursuivre ce travail sur des zones présentant des degrés d’intégration différents à l’économie sucrière.
[5] Sur le développement des territoires de plantation après l’abolition de l’esclavage : George BECKFORD, Persistent Poverty..., ouv. cité ; Alain BUFFON, Monnaie et crédit en économie coloniale. Contribution à l’histoire économique de la Guadeloupe, 1635-1919, Basse-Terre, Société d’histoire de la Guadeloupe, 1979 ; Augustin COCHIN, L’abolition de l’esclavage, Fort-de-France, Désormeaux, 1979 (Paris, 1861) ; Pierre CHEMIN-DUPONTÈS, Les petites Antilles. Étude sur leur évolution économique (1820-1908), Fort-de-France, Désormeaux, 1979 (1909) ; Sidney W. MINTZ, « Slavery and The Rise of Peasantries », dans Historical Reflections, tome 6, n° 1, 1979, pp. 213-242 ; Paul MORAL, Le paysan haïtien. Étude sur la vie rurale en Haïti, Port-au-Prince, 1978 (1961) ; Christian SCHNAKENBOURG, Histoire de l’industrie sucrière en Guadeloupe (XIXe-XXe siècles), tome I, La crise du système esclavagiste 1835-1847, Paris, Éditions L’Harmattan, 1980 ; Christian SCHNAKENBOURG, « La disparition des "habitations-sucreries" en Guadeloupe (1848-1906) », dans Séminaire du CUAG, Université Antilles-Guyane, UER de Sciences économiques et juridiques de la Guadeloupe, décembre 1980.
[6] L’usine comprend non seulement les bâtiments industriels mais aussi le domaine. Elle est le symbole du capitalisme. C’est une véritable institution comme le dit si bien William A. Green en parlant des années 1930 : « [...] Caribbean plantations were more than social and economic units. They were the organizing principle for West Indian society » (William A. GREEN, « The Creolization of Caribbean History. The Emancipation Era and a Critique of Dialectical Analysis », dans H. BECKLES et V. SHEPHERD [dir.], Caribbean Freedom. Economy and Society from Emancipation to the Present, Ian Randle Publishers, James Currey Publishers, 1993, pp. 28-40).
[7] On trouve un panorama de l’immigration asiatique dans la Caraïbe dans : Jean BENOIST [dir.], Immigrants asiatiques dans l’Amérique des plantations. Actes du XIIIe Congrès international des américanistes, 2-9 septembre 1976, Paris, volume 1 ; SINGARAVÉLOU, Les Indiens de la Caraïbe, Thèse d’État de géographie, Université Bordeaux III, 1979 ; Rawle Farley étudie les causes réelles de l’immigration dans : Rawle FARLEY, « The Rise of Peasantry in British Guiana », dans Social and Economic studies, tome 2, n° 4, 1954, pp. 88-103.
[8] Pour de plus amples informations sur les nouvelles formes de travail après l’abolition de l’esclavage dans l’Amérique des Plantations, voir : Babatoundé L.G. LAWSON-BODY, « De l’univers d’exclusion aux premières formes de socialisation des affranchis et nouveaux-libres aux Antilles françaises », dans Bulletin de la Société d’histoire de la Guadeloupe ; Jay R. MANDLE, « Sharecropping and the Plantation Economy in the United States South », dans Journal of Peasant Studies, tome 10, n° 2-3, janvier-avril 1983, pp. 120-129 ; Woodville MARSHALL, « Aspects of the Development of Peasantry », dans Caribbean Quarterly, tome 18, n° 1, mars 1972, pp. 30-40 ; Sidney W. MINTZ, « Slavery and The Rise of Peasantries », dans Historical Reflections, tome 6, n° 1, 1979, pp. 213-242 ; M. MIRRE, Le travail en Guadeloupe après l’abolition de l’esclavage (1848-1884), Travail d’étude et de recherche, Université de Bordeaux, novembre 1972 ; Christian SCHNAKENBOURG, « La disparition des "habitations-sucreries"... », art. cité.
[9] Voir note 3 pour la définition de l’économie de plantation. Les principaux groupes raciaux sont les suivants : la majorité des blancs constitue la classe dominante qui s’oppose aux noirs anciens esclaves ; à ces derniers viennent s’ajouter de manière conflictuelle les Indiens à la fin du XIXe siècle ; au milieu de l’échelle se trouvent les mulâtres, en partie descendants des affranchis d’avant l’abolition ou tout au moins des esclaves les mieux traités.
[10] Historique de l’usine Roujol : Reg. hypo. 602 (32), 649 (10), 705 (84). Constitution du domaine de Darboussier dans la zone étudiée : Guy LASSERRE, La Guadeloupe. Étude géographique, Bordeaux, Union française d’impression, 1961 ; SIAPAP, Société industrielle et agricole de la Pointe-à-Pitre, Basse-Terre, Imprimerie officielle, 1960 ; Reg. hypo. 628 (32) ; Reg. hypo. 698 (108). Historique des distilleries : Éliane SEMPAIRE, « La situation économique des Antilles de 1919 à 1945 », dans Historial Antillais, Paris, Société Dajani, 1984, tome V, pp. 73-112 ; interview de M. Ernest Block de Friberg, ancien distillateur à Petit-Bourg. Les moyens planteurs sont des personnes non distillateurs gérant en faire-valoir direct ou non des domaines de taille moyenne.
[11] Cette formulation ne préjuge pas de l’importance relative des livraisons de canne et des « journées » de travail dans le revenu monétaire ; cette proportion dépendant en grande partie de la politique de gestion de la main d’œuvre des usines concernées. Par ailleurs, le colon peut aussi vendre la part non consommée, forcément faible, des produits vivriers et des produits de son cheptel. Il n’est fait mention que de « l’usine » et de la production de sucre que pour simplifier l’exposé ; les raisonnements sont évidemment transposables dans leur majorité à la production rhumière.
[12] L’évocation de la monopolisation des ressources productives (principalement le foncier, les infrastructures, le crédit et le soutien technique) comme principale explication du développement limité de la paysannerie structure la plupart des études concernant l’histoire économique de la région et des sociétés de plantation, en particulier : George L. BECKFORD, Persistent Poverty..., ouv. cité ; Jay R. MANDLE, « Sharecropping and the Plantation Economy... », art. cité ; K S. TAYLOR, The Dynamics of Underdevelopment in a Plantation Economy : The Sugar Sector of Northeastern Brazil, Thèse, Université de Floride, 1969.
En ce qui concerne la propension à « consommer importé », faute d’étude sur la question, l’on peut seulement avancer quelques hypothèses :
[13] Il existe peut-être à la même époque une paysannerie ayant capitalisé grâce à la production de café, cacao et vanille, produits exportés mais stockables. Mais la recherche se cantonne à la zone sucrière, par ailleurs déterminante dans la structuration de l’ensemble de l’économie et de la société. C’est dans cette zone que l’on voit apparaître dès les années 1890 des luttes très organisées, ceci alors que l’abolition définitive a eu lieu en 1848 dans le secteur cannier. Elles sont d’ailleurs le prélude des luttes politiques très dures du début du XXe siècle. Voir : Jacques ADÉLAÏDE-MERLANDE, Troubles sociaux en Guadeloupe à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle (1895-1910), Cahiers du CERAG, n° 31, 1975 ; Ary BROUSSILLON, Procès de capitalisation et luttes paysannes dans l’agriculture guadeloupéenne, Thèse de 3e cycle, Paris, École des hautes études en sciences sociales, 1979 ; Philippe CHERDIEU, La vie politique en Guadeloupe, 1898-1914, Thèse de 3e cycle, Paris, Institut d’études politiques 1981. Les informations sur le syndicat des planteurs du Lamentin viennent de Jean-Pierre Sainton : Jean-Pierre SAINTON, Les nègres en politique. Stratégies de pouvoir et jeu politique en Guadeloupe 1891-1939, Thèse de doctorat nouveau régime, Aix-en-Provence, Université d’Aix-en-Provence-Institut d’histoire et de civilisation comparée, en cours.
[14] L’on se heurte à une absence quasi complète de statistiques pour la fin des années 1940, les chiffres concernant la structure de la population active ne sont fiables qu’à partir de 1954.
[15] Voir : Jean CRUSOL, « Les déséquilibres de la croissance excentrée en économie de plantation insulaire : le cas des Antilles françaises », dans Revue d’économie politique, 1, 1977, pp. 1-32 ; Jean CRUSOL, Économies insulaires de la Caraïbe. Aspects théoriques et pratiques de développement, Paris, Éditions caribéennes, 1980.
[16] Alain-Philippe BLÉRALD, Histoire économique de la Guadeloupe et de la Martinique du XVIIe à nos jours, Paris, Karthala, 1986.
[17] La dernière période faste de l’industrie sucrière guadeloupéenne s’étend de 1945 à 1962. Les producteurs de sucre tirent alors partie d’une situation très favorable : destructions causées par la guerre à l’industrie métropolitaine, croissance de la demande française, et aide des pouvoirs publics (contingentement favorable et financement). L’effort de modernisation de l’appareil productif qui s’ensuit, en particulier le doublement de la capacité de broyage, se traduit par une croissance de 300 % de la production de sucre entre 1946 et 1965. Le prix du sucre, unique depuis 1953, est calculé selon les coûts de production du seul sucre de betterave et le prix de mise en marché sur le sol métropolitain ne prend pas en compte les frais de transport maritime du sucre ultramarin. Pour plus d’informations sur l’évolution de l’agriculture et du secteur sucrier à cette période : Jean-Marc CHASTEL, Le rôle des institutions dans l’évolution de la filière canne à sucre à la Réunion, Thèse de doctorat en agro-économie, Montpellier, ENSAM, 1995 ; Christian DEVERRE, « Question sucrière et réforme foncière. L’évolution des formes de soumission du travail rural dans les zones sucrières de la Guadeloupe depuis la Seconde guerre mondiale », dans Christian DEVERRE [dir.], Enjeux fonciers dans la Caraïbe, en Amérique centrale et à la Réunion (Plantations et paysanneries), Paris, INRA/Karthala, pp. 77-98 ; Christian SCHNAKENBOURG, « Les origines historiques de l’intégration de l’économie sucrière antillaise dans le Marché commun (1884-1967) », communication au Colloque Insertion des D.O.M. dans la C.E.E., Bordeaux, mai 1977.
[18] Il faut noter que les lois votées par le parlement ne sont étendues aux DOM que par décrets d’application.
[19] Sur les distributions de terre de cette période : « Loi n°61-843 du 2 août 1961 tendant à améliorer dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane la situation des populations agricoles en modifiant les conditions d’exploitation agricoles et en facilitant l’accession des exploitants à la propriété rurale », dans Journal officiel, 1961 ; Centre technique de la canne et du sucre, rapports divers ; Christian DEVERRE, « Question sucrière et réforme foncière... », art. cité ; Police nationale, Renseignements généraux, La Réforme foncière en Guadeloupe, Basse-Terre, août 1968 ; SIAPAP, Assemblée générale ordinaire du 15 juin 1962, Pointe-à-Pitre ; SIAPAP, Assemblée générale ordinaire du 21 juin 1963, Pointe-à-Pitre.
[20] Voir : INSEE, « Les salariés en Guadeloupe en 1972 », dans Les cahiers de l’INSEE. Études et synthèses, 2e trimestre 1975 ; Alain-Philippe BLÉRALD, Histoire économique de la Guadeloupe et de la Martinique ..., ouv. cité. Il faut noter que le SMIC local est inférieur de 20 % au SMIC métropolitain.
[21] Une idée très répandue dans les analyses concernant cette période est que « les importations ont éliminé la production locale » ; on se rend compte ici que le phénomène est moins simple et mécaniste que cela. Pour ce qui est des sources, les seules séries continues disponibles sont celles des importations de produits animaux à partir de 1945 ; il n’y a rien concernant la production et les données démographiques de l’immédiat après-guerre sont sujettes à caution.
[22] Raymond ARON, Introduction à la philosophie de l’histoire, Paris, Gallimard, 1957 (1938), p. 182 ; Paul VEYNE, Comment on écrit l’histoire, Paris, Éditions du Seuil, 1971. Pour une description critique de ces différentes institutions, voir : Marie-Françoise ZÉBUS, Industrie sucrière et paysannerie, ouv. cité, f° 40-60.
[23] Il serait là encore intéressant de comparer les modes de vie des anciens esclaves et des Indiens dans leur milieu d’origine, peut-être ces Indiens étaient-ils déjà « plus paysans » que ces Africains ? Nous savons seulement que « les Indiens débarqués en Guadeloupe appartenaient en majorité à des castes moyennes et inférieures, liées aux activités agricoles, par vocation ou par nécessité » ; ils venaient pour la plupart du sud-est du pays Tamoul et du centre de la plaine indo-gangétique (Uttar-Pradesh et Bihar) (SINGARAVÉLOU, Les Indiens de la Guadeloupe, Bordeaux, Singaravélou, 1975). Sources utilisées : Guy LASSERRE, « Les Indiens de la Guadeloupe », dans Cahiers Outre-mer, tome XVI, n° 22, 1953, pp. 128-158 ; David LOWENTHAL, West Indian Societies, Oxford, Oxford University Press, Institut of Race Relations, 1972 ; SINGARAVÉLOU, Les Indiens de la Guadeloupe, ouv. cité ; SINGARAVÉLOU, Les Indiens de la Caraïbe, ouv. cité ; Anthony de VERTEUIL, Eight East Indian Immigrants, Port-of-Spain, Paria Publishing Co. Ltd., 1989 ; Marie-Françoise ZÉBUS, Industrie sucrière et paysannerie :.., ouv. cité, f° 166-168.
[24] Voir : Douglas HALL, « The Flight from the Estates Reconsidered : The British West Indies, 1838-1842 », dans Journal of Caribbean History, n°10/11, 1978, pp. 7-24 ; Babatoundé L.G. LAWSON-BODY, « De l’univers d’exclusion... », art. cité ; Woodville K. MARSHALL, « We be wise to many more tings’ : Blacks’ Hopes and Expectations of Emancipation », dans Social and Economic Studies, 17, 1968 ; Christian SCHNAKENBOURG, « Y a-t-il eu désertion des habitations après l’esclavage ? », communication au séminaire de recherche du 14 décembre 1985, École normale de Pointe-à-Pitre ; Dale TOMICH, « Houses, Provision Grounds and the Reconstitution of Labour in Post-Emancipation Martinique », dans Mary TURNER [dir.], From Chattel Slaves to Wages Slaves (The Dynamics of Labour Bargaining in the Americas), Ian Randle, Indiana University Press, James Currey, 1995, pp. 241-257 ; Marie-Françoise ZÉBUS, Industrie sucrière et paysannerie :.., ouv. cité, f° 64-83.
[25] Voir : Douglas HALL, « The Flight from the Estates Reconsidered : The British West Indies, 1838-1842 », dans Journal of Caribbean History, n°10/11, 1978, pp. 7-24 ; Babatoundé L.G. LAWSON-BODY, « De l’univers d’exclusion... », art. cité ; Woodville K. MARSHALL, « We be wise to many more tings’ : Blacks’ Hopes and Expectations of Emancipation », dans Social and Economic Studies, 17, 1968 ; Christian SCHNAKENBOURG, « Y a-t-il eu désertion des habitations après l’esclavage ? », communication au séminaire de recherche du 14 décembre 1985, École normale de Pointe-à-Pitre ; Dale TOMICH, « Houses, Provision Grounds and the Reconstitution of Labour in Post-Emancipation Martinique », dans Mary TURNER [dir.], From Chattel Slaves to Wages Slaves (The Dynamics of Labour Bargaining in the Americas), Ian Randle, Indiana University Press, James Currey, 1995, pp. 241-257 ; Marie-Françoise ZÉBUS, Industrie sucrière et paysannerie :.., ouv. cité, f° 64-83.
[26] D. CLEACH, « La Guadeloupe en 1848. Quatre mois d’administration abolitionniste », dans Le passage de la société esclavagiste à la société post-esclavagiste aux Antilles au XIXe siècle, Pointe-à-Pitre, GURIC, pp. 71-107 ; Victor SCHOELCHER, Histoire de l’esclavage pendant les deux dernières années, Fort-de-France, Désormeaux, 1973 (1847), tome I, pp. 522-523.
[27] Plus tard, dans les années 1850, un grand mouvement de scolarisation des enfants diminuera sensiblement la main d’œuvre et sera vu comme une menace pour la prospérité de la colonie (Gazette officielle de la Guadeloupe, n° 18, 31 mars 1853).
[28] Christian SCHNAKENBOURG, « Y a-t-il eu désertion des habitations après l’esclavage ? », art. cité.
[29] Eric WILLIAMS, De Christophe Colomb à Fidel Castro, l’histoire des Caraïbes, Paris, Présence africaine, 1975 (1970), p. 356. Max Chartol le confirme : « Pendant la crise de 1848-1851, la Guadeloupe a donc importé proportionnellement, davantage qu’autrefois. Ce fait peut s’expliquer par l’introduction du matériel d’équipement des centrales sucrières et par l’augmentation de la consommation des masses émancipées » (Max CHARTOL, « La Guadeloupe au XIXe siècle », dans Bulletin de la Société d’histoire de la Guadeloupe, n° 19-20 (1973), p. 83).
[30] Les mornes sont les collines calcaires des Antilles françaises et par extension les montagnes. Quelques tenants de la fuite des habitations : Louis JOUBERT, « Les conséquences géographiques de l’émancipation des noirs aux Antilles (1848) », dans Les Cahiers Outre-mer, 2, avril-juin 1948, pp. 105-114 ; Guy LASSERRE, La Guadeloupe. Étude géographique, ouv. cité ; Rosamunde RENARD, « Labour Relations in Martinique and Guadeloupe, 1848-1870 », dans H. BECKLES and V. SHEPHERD [dir.], Caribbean Freedom..., ouv. cité, pp. 80-92.
[31] Les mornes sont les collines calcaires des Antilles françaises et par extension les montagnes. Quelques tenants de la fuite des habitations : Louis JOUBERT, « Les conséquences géographiques de l’émancipation des noirs aux Antilles (1848) », dans Les Cahiers Outre-mer, 2, avril-juin 1948, pp. 105-114 ; Guy LASSERRE, La Guadeloupe. Étude géographique, ouv. cité ; Rosamunde RENARD, « Labour Relations in Martinique and Guadeloupe, 1848-1870 », dans H. BECKLES and V. SHEPHERD [dir.], Caribbean Freedom..., ouv. cité, pp. 80-92.
[32] On retrouve ici un débat constitutif de l’exercice de l’histoire dans la Caraïbe, celui concernant les aspirations des dominés et les formes de leur « résistance » au système. L’intégration ne signifie pas nécessairement soumission comme l’illustre Sidney Mintz : « pour qu’un esclave arrive à mélanger du verre pilé au repas du maître, il lui faut déjà être esclave de maison », c’est à dire faire partie des privilégiés. Ce débat est connexe de l’opposition entre William A. Green et ceux qu’il appelle les tenants de la conception dialectique de l’histoire caribéenne (Nigel BOLLAND, « Systems of Domination After Slavery : The Control of Land and Labour in The British West Indies After 1838 », dans H. BECKLES and V. SHEPHERD [dir.], Caribbean Freedom..., ouv. cité, pp. 107-123 ; William A. GREEN, « The Creolization of Caribbean History... », art. cité.
[33] Le jardin créole est un jardin complexe mélangeant plusieurs espèces sur une surface exiguë, bénéficiant des restitutions domestiques (cendres, excréments animaux) ; système de culture souvent caractéristique de l’agriculture vivrière familiale dans la Caraïbe. La remarque de Guy Rocheteau est extraite d’une communication personnelle datant de 1987. Les témoignages proviennent d’enquêtes réalisées par l’auteur en 1983-1986, traduction de l’auteur.
[34] Le Libéral, n° 961, 10 avril 1918.
[35] Cette opinion est très répandue dans l’ensemble de la population et a inspiré un projet de regroupement de lots « canne » des futures bénéficiaires de la deuxième Réforme foncière dans des exploitations collectives dont ils ne seraient qu’actionnaires, les autres cultures étant laissées sous leur responsabilité technique et économique. Voir l’analyse de : Jean-Paul CHABERT et Christian DEVERRE, La récolte de la canne à sucre en Guadeloupe. Logiques sociales et problèmes de mécanisation. Rapport d’enquête, INRA, Économie et sociologie rurales, juin 1985, p. 43.
[36] Beaucoup de chercheurs font partie du deuxième courant, notamment : Woodville K. MARSHALL, « Peasant Development in the West Indies since 1838 », dans P.I. GOMES [dir.], Rural Development in the Caribbean, Londres/New York, C. Hurst & Co./St Martin Press, 1985, pp. 1-14 ; Sidney W. MINTZ, « A Note on the Definition of the Peasantries », dans Journal of Peasant Studies, tome I, n° 1, 1973, pp. 99-106 ; Sidney W. MINTZ, « Reflexions on Caribbean Peasantries », dans New West Indian Guid, tome 57, n° 1-2, 1983, pp. 1-17 ; Sidney W. MINTZ, « From Plantations to Peasantries », dans Sidney W. MINTZ et S. PRICE [dir.], Caribbean Contours, Baltimore, John Hopkins University Press, 1985, pp. 127-153. La première conception est partagée par : Antoine BORY, Paysanneries caribéennes, capitalisme et développement : à propos de quelques ouvrages théoriques, mimeo., 1984 ; Peter FRASER, « The Fictive Peasantry... », art. cité.