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Marny, le plus ancien détenu de France doit-il mourir en prison ?

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Mots-clés : #Martinique
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Il est aujourd’hui le plus ancien prisonnier de France. Pierre-Just Marny, 68 ans, est détenu quasiment sans interruption depuis 1963. Soit 48 très longues années passées dans 14 établissements différents, dont la plus grande partie dans des unités psychiatriques pour malades dangereux.

A la différence de Lucien Léger, qui était le plus ancien détenu de France jusqu’à sa libération en 2005, Pierre-Just Marny est peu connu en métropole. Il est en revanche célèbre sur son île, la Martinique, où il a été transféré en mai 2008, au centre pénitentiaire de Ducos, après 40 ans de détention en métropole.

« Il est fatigué et malade. Il a le bras gauche paralysé, le bras droit ne va pas très bien non plus, il a du mal à marcher, et il est devenu presque aveugle », témoigne Félix Vert-Pré, lui-même non-voyant, qui a pris fait et cause pour Marny du fait de son handicap, et lui rend visite régulièrement en prison. Responsable en Martinique d’une association qui vient en aide aux aveugles, cet ancien boxeur de 58 ans anime également un comité « Libérez Marny », qui multiplie les pétitions et les actions symboliques.

Cette semaine, Félix Vert-Pré a quitté les Antilles pour venir plaider lui-même en métropole la cause du plus ancien détenu de France. « J’ai été reçu au ministère de l’Outre-Mer, où l’on m’a dit que Marie-Luce Penchard était sensible à cette situation », raconte-t-il assez diplomatiquement à Mediapart. Mais jusqu’ici, toutes les demandes de mise en liberté de Marny ont échoué, et les lettres adressées à l’Elysée restent sans réponse. « Si on ne l’a pas condamné à la peine de mort, qui était encore en vigueur à l’époque, c’est bien que Pierre-Just Marny avait des circonstances atténuantes. Or les conditions de détention très dures, parfois inhumaines qu’il a subies, sont une forme de mort lente », expose doucement Félix Vert-Pré. « Il faut le libérer, maintenant. Par humanité. »

Lors de ses nombreuses visites au parloir, Marny lui a raconté le « mitard ». Une fois, il était dans une cellule proche de celle de Jacques Mesrine, ce qui obligeait les deux hommes à crier pour pouvoir se parler. Et puis les coups. L’absence d’hygiène. La solitude. Les traitements médicaux, aussi. La chronique de ces années-là retient aussi que Marny a été impliqué dans quelques agressions violentes.

« Aujourd’hui, ce n’est pas quelqu’un de dangereux. C’est un homme courageux, qui a appris à lire et à écrire en prison, mais il est vieux et malade. Sa famille ne peut pas beaucoup l’aider. Alors j’ai mis en place un réseau de bénévoles qui pourraient l’accueillir dès sa sortie de prison », explique Félix Vert-Pré.

En juin 2010, Marny a obtenu quelques heures de liberté, au cours desquelles il a enfin pu voir sa famille, faire un bon repas et prendre un bain de mer, avant de retourner en prison. « Il regardait passer les voitures avec un air hébété. Il n’était pas sorti depuis 45 ans », raconte son avocate.

Crise sociale, émeutes et répression

L’histoire de Pierre-Just Marny s’inscrit dans une période très troublée en Martinique : la fin des années 1950, et surtout le début des années 1960, ont été marqués autant par les mouvements de décolonisation qui parcouraient la planète que par une terrible crise économique et sociale sur l’île. Les aspirations des Martiniquais à plus d’équité et de justice, le mouvement autonomiste, voire l’envie d’indépendance, donnent alors lieu à des violences et à une répression féroce de la part des forces de l’ordre.

En 1963, Marny a 20 ans. Illettré, issu d’une famille pauvre, il se livre alors à quelques vols, et est décrit comme un petit chef de bande. Il est condamné à deux ans de prison ferme pour vols, et incarcéré une première fois en février 1963.

Tout dérape en septembre 1965. A peine sorti de prison, Marny s’arme d’un fusil. Selon les récits de l’époque, il veut se venger de ses complices, et parcourt l’île, de Schoelcher à Fort-de-France. Le braquage d’un taxi tourne au carnage, avec trois morts et quatre blessés. « Un enfant de trois ans est mort d’une balle perdue, ça a joué contre lui », raconte Félix Vert-Pré. Arrêté et emprisonné, Marny réussit à s’évader en octobre 1965.

La cavale dure une dizaine de jours à peine. Marny est blessé de plusieurs balles lors de son arrestation, « alors qu’il était désarmé, et seulement parce qu’il avait refusé de se coucher ». Trois jours d’émeutes s’ensuivent. L’affaire passionne et divise alors la Martinique, où Marny est présenté comme l’ennemi public numéro 1, mais où une partie de la population prend fait et cause pour lui. « On le surnommait la Panthère noire. Pendant sa cavale, les gens le cachaient et lui donnaient à manger, et ils ne s’en cachaient pas », se souvient Félix Vert-Pré, qui avait une douzaine d’années à l’époque.

Plusieurs demandes restées sans réponse

La Martinique avait fini par oublier Marny, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité en 1969 à Paris, et emprisonné en métropole. « On a recommencé à parler de Pierre-Just Marny seulement à partir de son retour sur l’île en 2008 », témoigne son avocate, Claude Boulogne Yang-Ting, contactée par téléphone à Fort-de-France. La situation de son client est devenue inextricable. « Nous avons utilisé tous les moyens possibles pour demander sa liberté », raconte Me Yang-Ting, qui défend Marny avec son confrère Philippe Edmond-Mariette.

« Une demande de liberté conditionnelle a été déposée en métropole en 2007, mais la justice n’a pas statué, et a transmis le dossier en Martinique lors de son transfert. Or depuis lors, la loi sur les détenus dangereux est entrée en application, et il faudrait que Pierre-Just Marny accepte de passer six semaines au centre national d’observation (CNO), à Fresnes, pour être examiné par des psychiatres et des psychologues, mais il refuse d’y retourner. Il a attendu 40 ans avant de revenir sur son île, et il a trop peur de retourner à Fresnes et d’y mourir », explique l’avocate.

« Nous avons également fait une demande de suspension de peine pour raisons médicales, mais il y a beaucoup de malades emprisonnés en Martinique, et trop peu de places dans des établissements qui pourraient les accueillir à l’extérieur », relate Me Yang-Ting. « Nous avons également adressé une demande de grâce présidentielle, qui est restée sans réponse. Enfin, nous avons aussi tenté une demande de commutation de peine, qui permettrait de revenir sur la perpétuité. »

Une course d’obstacles épuisante, mais qui va peut-être aboutir : Me Yang-Ting vient d’apprendre qu’elle va être reçue la semaine prochaine au ministère de la justice.

Mediapart |22 juin 2011 | Par Michel Deléan

Post-Scriptum

Lire : Septembre 1965, l’affaire Marny ; sur le site du PKLS

Publié par la Rédaction le mardi 5 juillet 2011
Mis à jour le dimanche 17 juillet 2011

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