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Le 20 janvier 2009 débutait, à l’initiative du LKP (1), la grève générale des travailleurs de Guadeloupe "contre la vie chère - 200 euros pour tous" et pour briser le carcan d’un héritage colonialiste assurant la domination sur l’économie et la société insulaire de quelques multinationales et oligarchies familiales.
2009 : 44 jours de grève générale...
La grève allait durer 44 jours, bloquant toutes les activités : tant le secteur public (administrations, transports, éducation) que le secteur privé : stations-services, petits et grands commerces, activités touristiques et hôtelières, etc. Quinze jours plus tard, les Martiniquais emboîtaient le pas aux Guadeloupéens, le mouvement paraissant
alors susceptible de gagner d’autres, voire tous les territoires et départements d’Outre-mer.
D’où la panique du gouvernement Sarkozy-Fillon, craignant, non sans raison, que la dynamique de la lutte des classes partie de Guadeloupe trouvât son aboutissement en Métropole même. Il faut dire qu’à l’époque le gouvernement se heurtait à une montée en puissance de la résistance des travailleurs contre l’austérité et les projets de réformes
en cours, et que le tandem des subsidiaires Thibault-Chérèque avait déjà bien de la peine à endiguer dans les sempiternelles et démoralisantes "journées d’action" la détermination des travailleurs à en découdre, alors que Force Ouvrière réitérait à l’opposé la perspective
d’une grève interprofessionnelle.
A la tribune aux côtés d’Elie Domota : Gérard Bauvert, secrétaire national du CICR (assis à la gauche de l’orateur), et les trois signataires nantais de "l’appel des 500 " contre la répression en Guadeloupe : Jean-Paul Charaux, Patrick Hébert, et Eric Deniset
... arrachant les "accords Bino"...
C’est donc autant pour prévenir l’explosion sociale dans l’Hexagone que dans les Caraïbes, que Nicolas Sarkozy dépêcha en Guadeloupe
son secrétaire d’Etat à l’Outre-Mer, Yves Jégo, chargé de circonscrire l’incendie.
Mais pour cela, aucune autre solution que d’obliger le patronat local à mettre, à l’instar de l’Etat et des collectivités territoriales, "de
l’argent sur la table" pour "donner du grain à moudre" aux travailleurs et à leurs familles.
S’en suivit la conclusion, le 5 mars 2009, d’un protocole de suspension de conflit, signé du Préfet, représentant de l’Etat, du président
du conseil régional (le socialiste Victorin Lunel, aujourd’hui ministre), et pour le LKP, d’Elie Domota.
Ce protocole, complexe (165 articles), énumérait les différentes concessions faites aux 146 revendications du LKP aux fins de relever
le pouvoir d’achat. Lui était annexé l’accord dit « Jacques Bino » (du nom d’un syndicaliste guadeloupéen assassiné quelques semaines
auparavant) prévoyant une augmentation de 200 euros sur les bas salaires, et négocié lui entre le LKP et certaines organisations patronales minoritaires. (2)
... dont les patrons et leurs subsidiaires entendent plus que jamais s’affranchir
Sitôt signés les accords Bino, s’ouvrit une nouvelle bataille : celle de leur application à toutes les entreprises, face à un patronat majoritairement hostile. Après bien des atermoiements dus aux pressions exercées par
l’aile "majoritaire" du patronat guadeloupéen, le gouvernement finit par annoncer le 10 avril 2009 l’extension à toutes les entreprises des
200 euros de l’accord Bino.
Il était donc logique que l’union sacrée de toutes les forces sociales et politiques (notables socialistes et UMP à l’unisson, souligne Domota) tirant directement profit de l’ordre néocolonial (ou acceptant plus ou
moins honteusement d’en être les auxiliaires), sitôt passé le vent du boulet de la grève générale de 2009, saisît toutes les occasions et prétextes pour le retour au statu-quo ante.
Et comme ce sont elles qui tiennent les leviers économiques et décisionnels, les fondamentaux archaïques de la réalité sociale
guadeloupéenne, survivant au choc de 2009, demeurent en 2012 ce qu’ils sont depuis des décennies : monopole du commerce de distribution (avec prix exorbitants) aux mains de quelques grandes familles, activités économiques dominées par les multinationales de
la canne à sucre et de la banane (avec exposition des salariés et des populations aux épandages aériens de pesticides cancérigènes).
Quant aux accords Bino, ceux à qui ils furent imposés en 2009 estiment aujourd’hui l’heure venue de leur porter l’estocade. Ce d’autant qu’à la fin de cette année le dispositif transitoire mettant à la charge des finances publiques 150 des 200 euros de "bonus" salarial des accords Bino doit arriver à son terme (2), et que les patrons, bien sûr, n’entendent pas substituer leur carnet de chèques à celui de l’Etat pour financer l’acquis salarial de la grève générale de 2009.
Contre les revendications, la criminalisation de l’action syndicale
Les travailleurs, de leur côté, se battant avec détermination pour imposer le respect des accords de 2009, les exploiteurs, les notables
locaux et les représentants de l’Etat entendent briser par la force la résistance ouvrière : à charge donc pour les forces de l’ordre et
l’appareil judiciaire de cogner. Et de cogner de plus en plus fort, ... comme "au temps béni des colonies" raillé par une célèbre chanson
de Michel Sardou. La machine répressive, qui avait déjà recommencé à fonctionner à plein régime depuis 2010, tourne dorénavant en
"sur-régime" : la Guadeloupe vit désormais à l’heure de la diabolisation et de la criminalisation judiciaire de l’action syndicale.
Voilà pourquoi, avec le soutien public de 500 syndicalistes et démocrates, le Comité international contre la répression a convié
Elie Domota à tenir du 11 au 15 juin derniers des conférences d’information dans cinq grandes villes françaises, dont une organisée
à la Bourse du Travail de Nantes le 12 juin, à laquelle ont participé quelque 120 militants.
Au cours de son exposé, le leader du LKP fit observer que l’arrivée au pouvoir en France d’une nouvelle majorité politique n’avait pour l’heure rien changé à la répression antiouvrière en Guadeloupe, la demande d’entrevue adressée depuis le 5 juin par le Comité international contre la répression à la Garde des Sceaux, Madame Taubira, afin que celleci
mette un terme à l’arbitraire des poursuites contre les syndicalistes, demeurant sans réponse une semaine après son envoi.
Et, à l’heure où nous bouclons ce numéro (2 juillet), Madame Taubira ne s’est toujours pas manifestée. En serait-il donc de la Guadeloupe comme du SMIC ? Car, a priori : "Le changement, c’est... PAS maintenant".
1) Le LKP (Liyannaj Kont Pwofitasyon , c’està-dire « Collectif contre l’exploitation outrancière ») a été constitué suite aux premières
mobilisations des Guadeloupéens en décembre 2008 contre le prix des carburants. Il regroupe une cinquantaine d’organisations, dont entre
autres, parmi les organisations syndicales, FO-Guadeloupe et l’UGTG (Union Générale des Travailleurs de Guadeloupe, majoritaire).
Elie Domota est à la fois le secrétaire général de l’UGTG et le porte-parole du LKP.
2) L’accord intervenu en 2009 stipulait qu’à titre transitoire (jusqu’à fin 2012) les entreprises ne supporteraient que 50 de ces 200 euros, les
150 autres étant pour l’essentiel à la charge (provisoire) de l’Etat et, pour une faible partie, à celle de la Région de Guadeloupe.