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Le créole au cœur de la discrimination
En Guadeloupe, l’importance de l’utilisation de la langue créole dans la défense des syndicalistes face aux forces de l’ordre et du pouvoir patronal est devenue une constante.
Un exemple éloquent : l’affaire D. concerne la déléguée syndicale de l’entreprise Sodimat. Elle était convoquée en appel à la cour d’appel de Basse-Terre. Dès l’ouverture de l’audience, le président lançait en direction des militants présents dans la salle : "Vous avez fait le nombre mais vous ne me faites pas peur." Il est vrai qu’habituellement les procès des membres de l’Union Générale des Travailleurs de Guadeloupe (UGTG) ne sont pas ouverts au public, la police et les gendarmes interdisant accès au palais de justice. Quelques minutes plus tard, sur interrogation du président, la déléguée répond en créole.
Elle a déjà fait ainsi en première instance au tribunal de Pointe-à-Pitre. Il s’agit d’un choix syndical tant sont nombreux les salariés qui en raison de leur histoire social ou familiale ne parlent bien que le créole et s’expriment confusément en français. D’ailleurs, D. avait bénéficié de l’assistance d’un interprète devant ses premiers juges. C’est alors que le président lui a interdit de s’exprimer en créole à " son" audience en indiquant que les décisions de justice sont prises en français et sont rendues au nom du "peuple français" que de toutes les manières, elle sera jugée et condamnée.
L’injonction de s’exprimer en français était par ailleurs paradoxale. La déléguée est en effet poursuivie pour une prétendue diffamation prononcée en créole. Réaction indignée des syndicalistes.
Évacuation de la salle par des gendarmes en arme. Excès de zèle de la maréchaussée, la prévenue est elle-même expulsée. Dans la précipitation, l’audience se poursuit dans une autre salle. Malgré les demandes de report des avocats, elle est mise en délibéré au 9 novembre 2010 sans que D. ou ses avocats aient pu avoir la parole en dernier après les réquisitions de l’avocat général.
Le 3 janvier 2012, ces outrances processuelles de la cour ont été sanctionnées par la chambre criminelle de la Cour de cassation. Le dossier est renvoyé devant la cour d’appel de Fort-de-France (1).
Reste que, sur le fond du droit, ce contentieux pose un certain nombre d’interrogations qu’il faudra bien résoudre si on entend reconnaître la spécificité du "Pays Guadeloupe" dans la maîtrise de son destin.
La Constitution française n’assure-t-elle pas l’égalité devant la loi sans distinction d’origine ? Le créole n’est-il pas une langue reconnue par la Constitution française et la charte européenne des langues régionales ?
C’est donc bien au-delà de la simple question de procédure censurée par la chambre criminelle de la Cour de cassation que ces questions ne manqueront pas d’être posées devant la cour de renvoi.
A suivre.
(1) Cass crim 3 janvier 2012, no 10-88828
disponible sur le site www.Ioysel.fr