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Depuis plusieurs semaines, Mayotte est confrontée à une crise sociale, un mouvement sans précédant contre la vie chère. Contacté par leJDD.fr, Elie Domota – le leader du LKP à la tête de la fronde en Guadeloupe en 2009 – revient sur la situation dans l’île de l’archipel des Comores. Et dénonce l’attitude de la ministre de l’Outre-mer, Marie-Luce Penchard.
Depuis quasiment un mois, Mayotte est confrontée à une crise sociale sans précédent. Qu’en pensez-vous ?
C’est un mouvement qui ressemble beaucoup à ce qui s’est passé en Guadeloupe en 2009. Le commerce et la distribution sont contrôlés et la seule réponse de l’Etat, c’est la liberté des prix ! Le gouvernement est en train de proposer à Mayotte ce qu’il nous avait proposé, à savoir la mise en place d’un groupe d’intervention régional sur les prix (GIR) – cela n’a rien donné en Guadeloupe – et un audit. Chez nous, il y a eu deux rapports de l’autorité de la concurrence. Pourtant rien n’a changé. Il s’agit de maintenir en place le même système avec au sommet de la pyramide ceux de la grande distribution qui s’en mettent plein les poches et en bas les Mahorais qui souffrent. Ils ont raison de se soulever contre ce système.
Cette crise est donc vraiment similaire à celle de 2009 en Guadeloupe ?
Pas en tout point. Mais les causes du mal sont les mêmes : une société à deux vitesses avec beaucoup d’arrogance et de mépris. La pauvreté touche une grande partie de la population de Mayotte. On leur a fait croire beaucoup de choses avec la départementalisation (en mars 2011, ndlr). Aujourd’hui, ils se rendent compte que tout ça n’était que du pipeau. Ceux qui possèdent sont toujours au sommet. C’est une crise sociale mais également une crise identitaire, où les Mahorais demandent à choisir ce qui est bon pour eux.
Le leader du Collectif des citoyens perdus souhaitait vous faire venir à Mayotte pour participer aux négociations. Pourquoi n’y êtes-vous pas allé ?
Les Mahorais sont suffisamment forts, courageux et intelligents. Ils le montrent en ne tombant pas dans les pièges qui leur sont tendus par le pouvoir. Après, nous sommes toujours en contact, nous avons eu l’occasion d’organiser des meetings de solidarité en Guadeloupe. Mais je pense qu’ils peuvent faire eux-mêmes ce qu’ils ont à faire à Mayotte, et c’est très bien comme ça. Ils sont tout à fait compétents pour mener à bien leurs revendications.
Vous condamnez la répression et dénoncez l’attitude du gouvernement et de Marie-Luce Penchard. Pourquoi ?
Marie-Luce Penchard n’a rien fait pour apaiser les esprits, pour aller dans le sens de la négociation, d’un véritable dialogue. Toutes ses prises de paroles ont été faites pour mettre de l’huile sur le feu. Elle n’est pas du tout à la hauteur de la situation ! Et ne l’a jamais été. Cela fait plus d’un an et demi qu’elle n’adresse pas la parole au LKP. Aujourd’hui (mercredi, ndlr), un comité interministériel de l’Outre-mer a été organisé à Paris pour faire le point sur les mesures prises. Mais ce sont des mesurettes qui n’ont rien à voir avec les revendications posées. La profitation sur les prix continue, les discriminations raciales à l’embauche aussi, le plan d’urgence pour la formation des jeunes n’a jamais été mis en œuvre… Pourtant, ils font un conseil interministériel pour se congratuler, alors que sur le terrain, tout est en recul. Tout va de travers !
En Guadeloupe, la situation ne s’est donc pas améliorée. Un mouvement de protestation comme celui de 2009 est-il de nouveau possible ?
Aujourd’hui, tous les clignotants sont au rouge. L’Etat n’a jamais tenu ses engagements. Sa seule réponse est la répression. Que ce soit le Parti socialiste ou le gouvernement actuel, personne ne veut régler les problèmes. Tout le monde prépare l’échéance de 2012. La seule mesure pour laquelle ils ont fait de la publicité était l’année des Outre-mer. Mais, pour nous, ce n’est ni plus ni moins que l’affichage des trophées coloniaux et une opération de séduction en direction de la diaspora antillaise et autres à Paris en vue de l’élection présidentielle. Sur le terrain, ni l’Etat, ni les collectivités, ni le patronat ne respectent leurs engagements.
Un médiateur a été envoyé après plusieurs semaines de conflit. Mayotte est en France mais on a l’impression que la situation importe peu…
Tout à fait. C’est le black out médiatique ! Je crois que l’Etat a organisé le boycott médiatique pour ne pas être sur le devant de la scène publique internationale. Nicolas Sarkozy donne des leçons de morale au président turc sur la situation avec les Arméniens mais refuse de donner satisfaction aux revendications des Français de Mayotte. Et puis, l’Etat ne veut pas de contagion ! Il sait très bien que les problèmes de Mayotte sont les mêmes que ceux qui se posent en Nouvelle Calédonie, en Martinique, à La Réunion ou en Guadeloupe. Chez nous, cela commence à bouillonner. Les problèmes restent posés. Un jour ou l’autre, les Guadeloupéens redescendront dans les rues.
Selon vous, quelles sont les solutions à mettre en oeuvre ?
Il faut en finir avec la volonté de faire de ces îles des colonies de consommation ! En Guadeloupe, notre balance commerciale est déficitaire. Nous ne sommes plus un territoire de production mais de consommation des produits manufacturés venus d’Europe. Pour moi, la réponse passe par plusieurs choses, parmi lesquelles la préservation des terres agricoles et la possibilité d’accéder à des postes à responsabilités. Au niveau culturel, il faut que nous puissions nous entendre à la radio ou à la télévision. Sans oublier bien sûr de mettre en place un encadrement des prix des produits de première nécessité, qui ne rentrent pas en concurrence avec la production locale. Mais il n’y a pas de volonté politique. Aujourd’hui, les financiers et les économistes dictent aux politiques ce qu’ils doivent faire. Ce devrait être l’inverse.
Anne-Charlotte Dusseaulx - Le JDD.fr
Mercredi 26 octobre 2011